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Screen Shape
26 août 2010

Le Bruit des Glaçons

Rater un Blier avec Jean Dujardin et surtout l'immense Albert Dupontel aurait été un crime. D'autant plus que le film promettait d'être drôle et cruel à souhait. Pourtant...

Pourtant ce n'est pas ce que je retiendrais en premier de ce film singulier. Salle quasiment vide le jour de la sortie, étrange mais peut-être prophétique du succès d'estime que risque d'avoir le film. La faute à un style vraiment original, inhabituel, et surtout à un film particulièrement dérangeant, qui risque bien de ne pas trouver son public si facilement.

Sur le papier, tout est parfait : un ex-écrivain alcoolique reçoit la visite d'un type qui prétend être son cancer, il s'aperçoit bien vite que c'est le cas. On s'attend à de l'humour noir, de la cocasserie, du décalage. Certes, mais il y a bien plus dans ce film. La première séquence le laisse déjà supposer : Dupontel marche sur un chemin droit, encadré d'arbres identiques et droits, eux aussi. Plans géométriques, montage sec, contrechamps complets, coupures brutales et bande son ronflante, inquiétante, musique classique apocalyptique, façon début et milieu de XXe. Dujardin trône sur la terrasse de son mas, en manteau de fourrure, bouteille de blanc à la main. Et le fantastique surgit : le cancer sonne à la porte, mais seul lui le voit et l'entend. Servante apeurée, éberluée de voir son patron gesticuler tout seul et parler dans le vent. La musique s'emballe, le ton devient grinçant, les répliques fusent. Le cancer est défenestré, mais revient quelques plans plus tard. Il se prend une balle dans le ventre et se tord de douleur avant de se tordre de rire. Le ton est donné : l'humour est bien là, mais il est grinçant, sinistre.

Si Edgar Allan Poe hante - c'est le cas de le dire - la première partie du film, qui reste globalement dans le registre comique ourlé de grotesque, il disparait peu à peu derrière l'auteur du film, Bertrand Blier. On retrouve là des codes de son cinéma à lui : huis-clos, humour noir, sujet brûlant... Il développe peu à peu une mise en scène originale, gonflée, osée. Le montage est aussi sec que le décor, presque géométrique lui aussi. Mais les mouvements de caméras sont gracieux, épousent de plus en plus les formes, les contours et les personnages, enveloppés dans leur misère. L'humour s'efface, ou se radicalise. Rire devient difficile, provoque le malaise. Un deuxième cancer survient au détour d'une scène terrassante, des personnages d'une ampleur inouïe se créent : la bonne, l'écrivain, les cancers, et puis le fils. Le jeu est parfois outré, délibérément théâtral, les mouvements sont calculés comme dans un ballet, notamment dans les rares scènes qui se déroulent à l'hôpital, hors de la villa.

Ces procédés se superposent, se télescopent pour créer cet objet de cinéma curieux et déroutant, gracieux et glacial, drôle, cruel et tendre. La tendresse et l'émotion se font une place grandissante au milieu du jeu de massacre. La bonne amoureuse, flirte avec les images de son désir, mais son cancer ne la lâche pas d'un pouce. Au milieu de tout cela, on pourrait crier à la foule d'invraisemblances, mais la complexité habile du scénario - seuls ceux qui aiment le malade voient le cancer - offre une pirouette au réalisateur qui montre et cache à loisir ses fléaux. Eros et Thanatos, encore et toujours : amour et mort, pulsion de mort, désir de mort. C'est parce qu'ils sont condamnés qu'ils s'aiment, et cet amour offre à la fin du film des moments d'extase, des soubresauts du comique rédempteur. Blier joue avec les codes, les genres, entre film noir décomplexé et satire cruelle de la société, où les écrivains ratés ont du succès et tombent dans l'oubli ou finissent par croupir à l'Académie, où les cancers et les paparazzis se ressemblent. On n'avait pas vu une telle réussite autour de la personnification de la mort depuis le Septième Sceau de Bergman, auquel le film fait étrangement écho.

bruitgla_ons
In bed with... a cancer.

Il reste encore quelques éléments remarquables avant d'en finir : la musique tout d'abord, cruciale et incroyable, brassant répertoire classique (Ravel), Jazz (Nina Simone reprenant Brel au générique) et musique moderne (blues synthétique, partition envoûtante et responsable pour beaucoup de l'ambiance du film), composée par deux "équipes" différentes. D'ailleurs, avec la fin du film, apaisante et superbe, le choix musical du "Ne me quitte pas" revisité par Nina Simone montre bien la position du film par rapport au genre comique. Les acteurs quant à eux, trouvent tous de grands rôles, Dupontel en tête. Il a le sale rôle, mais derrière quelques unes de ses colères on devine pourtant une grande souffrance : tuer des gens, c'est pas si facile à vivre en fin de compte. Mais pour moi, la grande interprétation de ce film est elle d'Anne Alvaro, bouleversante dans le rôle de Louisa. En dire plus serait gâcher le plaisir. Le rythme effréné du film par moments et presque un obstacle à l'émotion, rendant difficile de savoir si c'est parce qu'il veut rester du côté de l'humour ou parce qu'il veut vraiment que les deux genres entrent en collision. Un scène terrible et drôle à la fois, d'une grande cruauté, est à cette image : Dujardin et sa première migraine à cause de la tumeur, devant une Louisa effondrée, un cancer du sein sur le fil et Dupontel qui s'esclaffe. Dernier atout, et pas des moindres, l'audace incroyable de Blier, qui n'hésite pas à utiliser un procédé théâtral par excellence pour les scènes de flashback : les personnages la revivent, et nous la racontent, au passé, tout en la jouant, accompagné avec un bel anachronisme de leur cancer qui commente le tout. Chacune de ces scènes est un grand moment d'émotion et de cinéma en général.

En bref, un film vraiment singulier, pas conseillé à tous, entre outrance et film d'auteur accompli. Une réussite aussi bien esthétique que scénographique, portée par des acteurs au sommet de leur art. Quelques moments vraiment incroyables de cinéma, notamment le subtil plan séquence qui ouvre la dernière partie du film, jouant sur nos peurs et nos envies. Seuls défauts qui surnagent, quelques longueurs peut-être pour un film pourtant court, et surtout, paradoxalement, un rythme parfois trop soutenu. Une comédie presque déprimante, qui me donne envie citer un certain Desproges : "On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui.".


Note : 3.5/4

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Commentaires
K
Coucou.<br /> <br /> Tu as vraiment bon goût en matière de long-métrage ! Enfin, si je le dis c’est parce que de tous les films dont tu as parlé, j’avoue que j’en ai apprécié la majorité. Le seul hic, c’est que de nos jours, il n’y a plus de longs-métrages cultes tels que le film Les anges gardiens http://www.megavod.fr/les_anges_gardiens/ ou encore Les visiteurs, quoique The Artist en fera peut-être partie. Heureusement que les classiques sont disponibles en téléchargement.
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