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Screen Shape
24 juillet 2010

Tamara Drewe

Le dernier Stephen Frears figurait sur la liste de mes impératifs depuis le Festival de Cannes. En effet, bien que j'y aie vu 38 films (j'y reviendrai), celui-là m'avait échappé car il était hors compétition. Et tout le monde là-bas disait en sortant de séance que c'était le plus drôle du Festival cette année, qu'il était excellent, etc.

Après avoir adoré du même Frears des films aussi divers que les Liaisons dangereuses ou Grifters, je brûlais donc d'impatience pour sa dernière mouture made in England. Pour ne pas gâcher mon plaisir, il fallait donc que je le voie en VOSTFR, ce qui est chose faite. Bien m'en a pris ! Le film se déroule dans la ravissante campagne anglaise, et fait côtoyer des anglais aussi bien que des américains, des londoniens comme des purs terroirs. La version originale était donc essentielle pour restituer toutes ces mélodies des accents, les nombreux jeux de mots, les spécificités de chacun et les tics des autres.

Le synopsis du film n'est pas très complexe : une ancienne habitante d'un bled paumé dans la campagne où un couple tient une auberge de repos pour écrivains décide de retourner dans la maison de sa mère récemment décédée pour la retaper, la vendre, et éventuellement écrire quelques billets pour le magazine qui l'emploie. Mais son retour et quelques changements vont faire démarrer une réaction en chaîne terrassante. Car si le synopsis est simple, le scénario, lui, est d'une complexité à couper le souffle. Chaque petit détail y prend rapidement un sens précis, s'enfle, gonfle, éclate et éclabousse la moitié des personnages. Les caractères sont étudiés avec finesse, précision et une certaine tendresse ironique de la part de l'espiègle réalisateur. C'est une suite de petits changements, de détails, de saynètes, de jalousies et de désirs qui vont s'imbriquer les uns dans les autres pour conduire tout un village à la catastrophe. On passe d'un adultère à un autre, d'un méfait à un crime, d'une coucherie à une panne. L'humour, présent dès le début du film, s'affine, se fait plus ironique, plus grave, et, à la fin du film, s'emmêle avec le pathétique et le tragique. La comédie se fait drame, on a le vertige et on ne sait plus quoi en penser, en rire ou en pleurer ?

Si un film devait lui ressembler dans sa cruauté naïve, c'est peut-être le Fabuleux destin d'Amélie Poulain, mais il y manquerait le côté machiavélique du film de Frears, véritable horlogerie mécanique, qui ôte et rend sans arrêt à ses personnages leur humanité. Le filmage est d'ailleurs à cette image, la caméra ayant une certaine propension à s'élever au dessus des gens, à faire des plongées totales dans les intérieurs des maisons pour mieux saisir l'ampleur du drame qui s'y joue. Chaque plan est alors une petite surprise, un personnage apparaissant, disparaissant, un pan de décor se dévoilant. Jeu voyeuriste permanent, hommes épiant les femmes à la jumelle, prises de vues obsédantes depuis des fenêtres, de la rue ou de l'intérieur, on n'est pas loin de l'espionnage à certains moments. La pratique du split-screen, déjà récurrente chez le réalisateur, est ici encore plus prégnante, les "fenêtres" perdant leurs limites dans des fondus qui tendent à faire de deux images une seule, à réunir des personnages pourtant séparés définitivement.

Et comme toujours avec notre homme, mention spéciale au casting incroyablement juste et fin, Gemma Arterton en tête. Chaque acteur est dirigé au cordeau et rend parfaitement la psychologie du personnage, dans l'ambiguïté permanente, entre compromis et totale liberté. L'exemple parfait étant Jessica Barden qui joue l'insupportable Jody, prête à tout pour approcher son chanteur préféré, mais choisissant finalement, mais trop tard, la rédemption, choix aussitôt démenti par le dernier plan du film. Le coup de génie de cette œuvre est par ailleurs sont caractère éminemment littéraire : situation de mise en abîme qui nous présente des écrivains de différents horizons (de l'auteur de polars à succès au prof essayiste qui tente désespérément de clore son analyse de l'œuvre de Thomas Hardy en passant par l'écrivaine de polars lesbiens, ou plus simplement la journaliste écrivant ses mémoires) tous réunis en un même lieu, témoins obligés et acteurs malgré eux d'un drame collectif. Le résultat fait penser aux études des mœurs de campagnes de Balzac (surtout Eugénie Grandet et la Cousine Bette), ou à certains romans de Zola.

En bref, un excellent film, drôle mais amer, remarquablement écrit et servi par des acteurs au somment de leur art, à voir d'urgence, et qui donne fortement envie de lire le roman "graphique" duquel il est l'adaptation. Note : 4/4

Tamara_Drewe

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