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Screen Shape
13 août 2010

The Killer Inside Me

killerinside

Le Texas, au milieu des années 50, dans un bled complètement paumé. Un jeune adjoint au Shérif, Lou, est chargé de rendre visite à une prostituée pour lui faire quitter la ville, mais une fois sur place, l'entrevue se prolonge. Dès le générique et la première séquence de ce film, le ton est donné : esthétique glacée mais particulièrement soignée et réussie, casting impeccable, crudité des images. Les générique initial, très old school, rappelle des films de la fin des années 60, façon rock psychédélique et Scopitone, sauf qu'ici, la musique est plutôt jazz. Les premiers instants du film en dévoilent l'enjeu narratif. Une voix OFF, celle du personnage principal, que l'on suit à l'écran (Casey Affleck jouant Lou), nous raconte a posteriori ses états d'âme. Voix étrange, chaude, timide et aiguë, un brin voilée, avec un accent texan assez impressionnant. Physiquement, Lou à tout du parfait gentleman de son époque, belle chemise blanche, raie sur le côté, cheveux courts légèrement gominés, une vraie gueule d'ange. Mais justement, quelque chose cloche déjà, son regard peut-être...

Autant vous prévenir, il va m'être dur de critiquer ce film sans en dévoiler quelques moments, qui arrivent vite pour la plupart.
Notre bonhomme va donc chez la prostituée, elle croit à un client, il trouve un flingue chez elle, ça s'emballe. Elle sort son permis, il lui demande de partir, méprisant, elle la frappe, hurle. Il ne bronche pas, mais on sent la bête monter en lui. Après quelques coups et quelques insultes de trop, il l'empoigne violemment et la couche de force sur le lit, il enlève sa ceinture, on sent qu'il va la violer, d'ailleurs le cadrage se resserre sur le visage de Joyce crispé(e) de douleur... Et bien non, il la fouette de toutes ses forces avec la ceinture, lacère ses fesses de coups... et fond en larmes. Le rapport s'inverse, elle s'apitoie, l'embrasse et ils font l'amour. Cette scène cruciale résonne comme l'avertissement de ce qui va suivre : faux-semblants, violence âpre et consentie, sado-masochisme. La situation surprend d'emblée, à froid, mais en comparaison de la suite, c'est presque totalement logique.

Car le film n'est qu'une sorte de fresque d'une Amérique en perdition. Adapté d'un roman de Jim Thompson, qui a également écrit The Grifters (plus tard adapté avec brio par Stephen Frears), le film s'inscrit dans la veine d'une certaine littérature américaine des années 20 et 30, le Southern Renaissance. C'est en somme le portrait d'une société malade, désaxée, perdue après les guerres, en crise économique et sociale. Les gens sont fous, aliénés. En regardant le film je pensais à The Sound and the Fury, de William Faulkner. Dans The Killer Inside Me, vous trouverez cela : le passé trouble de Lou, sa mère qui meurt, son frère adoptif, un viol, des meurtres... Rien ne va plus dans le Texas vieillissant, reconstitué avec une précision et une élégance rares. Ainsi, on suit les déambulations de Lou, qui tombe amoureux de Joyce, mais qui a déjà quelqu'un dans sa vie. C'est la seconde grosse surprise du film : il rentre chez lui, et sa compagne du film, campée par Kate Hudson, débarque en petite tenue. On bascule alors dans un univers de film noir traditionnel, à la Billy Wilder ou à la Otto Preminger. Un homme, deux femmes, et en l'occurrence, un autre homme, le riche client de Joyce.

Comme dans tout bon film noir, il y a aussi un plan. Ici, c'est plumer et se débarrasser du pigeon de Joyce avant de se faire la malle avec elle. Mais un électron libre vient faire virevolter la logique du film noir : Lou. Car Lou est malade, Lou est malsain. Il a une abomination qui reste tapie au fond de lui, qui l'envahit peu à peu. Et le soir fatidique, il frappe. Dans une scène proprement insoutenable, qui paralyse et prend le spectateur en otage, il commence à tabasser Joyce (Jessica Alba), le sourire aux lèvres. La scène s'étire, alterne les vues du visage tuméfié de la jeune femme et de son homme en proie à la folie. Il la tue, puis trucide le pigeon. Du moins il croyait l'avoir tuée...

Je m'arrêterai là - ou tenterai de le faire. Notez bien que cette scène arrive assez rapidement dans le film, qui dure bien 2h.
J'aborde ici le point peut-être le plus original de ce film, sa construction. Après ce début fiévreux, difficile et rythmé, s'installe une longue plage beaucoup plus calmes, avec quelques petites scènes par-ci par-là. Mais tout est à nouveau faux-semblants, le filme déroule une toile d'intrigues, d'indices et de personnages, qui complexifient son histoire : qui est Lou, qu'a-t-il fait, que fera-t-il ? Les enquêtes se chevauchent, les morts s'accumulent, les témoins apparaissent, disparaissent, le chantage fait fureur dans le petit hameau perdu au milieu de nulle part. Le film, malléable, semble s'étirer, pour endormir le spectateur, le bercer, le berner. Mais c'est pour mieux éclater soudainement. Cependant, il distille bel et bien des traces d'un final terrible : un tic de montage qui revient, des scènes et des personnages qui se font écho, des réminiscences fantasmées de la même manière. La voix OFF nous accompagne toujours, et l'on est amené peu à peu à s'interroger sur notre position : nous montre-t-on les faits tels qu'ils sont, où bien puisqu'il est fou, voyons-nous tout de manière déformée ? Est-ce qu'il nous ment ou au contraire sommes-nous témoins du piège qui se referme sur lui ?

Pour renforcer cela, le film joue avec ses références, la principale étant peut-être, aussi curieux que cela puisse paraître, Funny Games de Michael Haneke. Dur de ne pas y penser quand on voit Lou, propre sur lui, bon chrétien, angélique, en chemise immaculée, souriant et détendu, alors qu'il vient de tuer et qu'il va recommencer. Mais le film évoque aussi Laura, de Preminger, dans son final, mais décuplé avec un léger côté burlesque (surtout dans la bande son, complètement en décalage avec les images) et dans la surenchère d'effets inattendue. C'est même dommage que le petit budget du film (13M USD) ne permette pas de rendre crédible la toute dernière scène du film, faute de moyens techniques. La musique, comme je l'ai dit, est surprenante : larmoyante dans des moments étouffants de violence, guillerette là où elle aurait pu insuffler du suspense, elle perd le spectateur dans les méandres de son personnage principal, dont elle semblerait presque émaner : mélomane, il écoute de l'opéra dans son fauteuil, ou de la bonne vieille country - Texas oblige - au volant. La scène évoque d'ailleurs directement une autre de Kill Bill Vol.1, puisque le même artiste est utilisé (à savoir Charlie Feathers).

J'ai évoqué rapidement un tic de montage, c'est en effet la pratique délibérée de la saute, de l'ellipse très courte. Cet usage me rappelle celui qui en est fait dans Shutter Island - que j'ai détesté - pour signaler que DiCaprio était fou. Le problème était que si l'on comprenant cela d'emblée - ce fut mon cas - on s'ennuyait ferme. Ici, on sait qu'il est fou, c'est le sujet du film, et la distance prise par Winterbotton pour filmer ses personnages, combinée avec ces "bugs" de montage laisse le spectateur perplexe : est-simplement pour raccourcir le récit, ou est-ce l'esprit de Lou, d'où proviennent les images, qui déraille ? Le rendu est d'autant plus complexe que les niveaux de lecture se superposent : la fin du film devient alors carrément ambiguë. Les scènes à l'asile sont probablement réelles, mais celles qui suivent ? Le personnage qui le conduit en voiture ressemble étrangement à celui qui est alors le sujet de leur conversation, même s'il n'est pas lui, à moins que ? Et si Lou trouvait dans cette conversation un allié ? Tout est imaginable, même si le film semble diriger le spectateur vers une autre piste, plus flagrante.

Le dernier point sur lequel j'aimerais revenir est l'interprétation des personnages par les acteurs. Le casting est absolument parfait. Casey Affleck excelle dans un rôle pourtant difficile car insaisissable. Son jeu de rictus, de grimaces et de crispations est bluffant, sa voix envoûtante. Jessica Alba, que l'on voit pourtant peu, crève l'écran par sa sensualité et sa candeur, qui renforcent le malaise quand elle se fait sérieusement amocher, et qui le décuplent lors de cette énigmatique scène de fantasme où elle se prélasse, lascive, sur son lit, dans les pensées de Lou. Et la mention spéciale revient sans hésiter à Kate Hudson, absolument renversante dans le rôle d'Amy, la fiancée de Lou Ford. Elle écope d'un rôle complexe, faits de compromis et de perversions. Masochiste, amoureuse, joueuse mais jalouse, elle hante le film comme elle hante Lou, et elle est malmenée dans tous les sens du terme, corporellement et moralement. La scène de la lettre est absolument magnifique.

En bref, un film à l'image de son personnage principal : ensorcelant et répugnant, attirant et dangereux. Les acteurs sont au sommet de leur forme, la mise en scène froide sublime les corps et les matières et donnent du relief à une ambiguïté déjà forte. L'oeuvre est tentaculaire, terriblement complexe, indéniablement dérangeante. J'avoue que j'ai failli quitter la salle à un moment, il ne faut pas montrer ce film à n'importe qui je pense. Malgré tout la réussite est totale.

Note : 4/4

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