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Screen Shape
5 août 2010

Songs of Darkness, Words of Light

Une fois n'est pas coutume, je décide de me lancer dans une critique d'album avant de me mettre plus sérieusement à la revue d'un film (et pourtant il y en a un certain nombre en attente...). Ecoutant actuellement quelques morceaux du même genre musical que celui de l'album sur lequel mon article va se tourner, et souhaitant la publier en parallèle sur l'excellent Spirit of Metal, le temps sombre aidant aussi quelque peu, je me lance donc dans l'aventure pour vous parler un peu d'un de mes albums préférés.

sodwol

 

8ème album de My Dying Bride, groupe britannique phare du mouvement Doom Death, Songs of Darkness, Words of light, au titre si élégant, succède en 2004 à l'un des chefs d'œuvres du groupe, le fulgurant The Dreadful Hours. Cet album superbe oscillait entre un doom violent aux accents parfois black metal et une musique plus posée, plus mélodique, voire planante sur certains morceaux. Qu'en est-il alors de ce successeur ?

 

L'album démarre sur un bruit d'orage assez court qui lance le morceau "The Wreckage of my Flesh". D'emblée on est plongée dans une atmosphère de mort, de solitude et de puanteur malsaine. La batterie roule, l'orage éclate épisodiquement, la guitare joue des notes graves et longues, lancinantes et descendantes pendant qu'Aaron grogne, hurle. Le ton est donné. Mais là, surprise, on pouvait s'attendre à une première piste chantée en grunts, mais c'est une voix faible, plaintive qui nous parvient. Un texte qui nous prend à la gorge et nous confirme ce que l'on commençait à percevoir, il est ici question d'abandon, de rejet. Le narrateur nous raconte qu'il s'est exclus parce qu'il était devenu un monstre. La suite de la chanson trouve un rythme de croisière plus lent, toujours lancinant, agrémenté de quelques claviers superbes qui donnent du relief à un morceau d'une belle intensité. La plainte se poursuit, aborde les thèmes chers au groupe comme la perte de la foi, le spleen, et les titre de l'album est même évoqué dans quelques vers sublimes :

Make this day like the night.
Songs of darkness and words of light.

Une piste longue, qui prend son temps, sans véritable refrain, avec des pauses instrumentales qui accentuent le sentiment de flottement, de perte. L'aspect litanique du morceau est quant à lui assuré par un des procédés habituels du chanteur, à savoir le morcellement des paroles par la répétition : "Pulling down, down my heart" par exemple. La fin du morceau nous entraîne vers une sorte de pont à la guitare qui cède place à une ambiance similaire à celle de l'intro. D'une voix atone, le chanteur nous dit que finalement, après cette déchéance, cette décrépitude et cet abandon, il fera face. Une sorte de renaissance pour lancer les morceaux suivants.

 

 

Arrive alors le riff mélodique et sombre du ténébreux "The Scarlet Garden". Le titre du morceau laisse espérer un peu plus de couleur que le précédent, mais si le morceau parle bien de chair, de feu et de sang, il reste extrêmement sombre. Le rythme est plus soutenu, la mélodie est portée par le trio basse-batterie-guitare, et Aaron nous berce de sa voix mélancolique. Puis survient un premier changement de rythme et de ton, on aborde un refrain qui sera en fait le thème du morceau, feutré et doux, alimenté par des notes de guitare assez graves. Une nouvelle partie s'ouvre ensuite, nettement plus sombre, lente, lourde. Les ténèbres du premier morceau reviennent sur un passage parlé évoquant l'amour impossible, détruit, autre thème cher au groupe. Et là, nouvelle surprise, la guitare se retrouve nue, puis accompagnée par un filet de batterie, un gros riff bien lourd, et les premiers grunts de l'album débarquent ! Un passage fulgurant, violent mais pas trop, parfaitement intégré dans la logique du morceau, et que vient conclure le retour du thème principal du refrain, les paroles en moins et les claviers en plus. On note aussi la présence de cordes - ou tout au moins de claviers s'efforçant d'en recréer le son.  Le morceau s'achève dans la douceur et la tristesse de l'adieu à l'être aimé, reprenant la mélodie et le rythme du deuxième couplet. Un morceau donc très construit, relativement long également, mais de très bonne qualité.

 

Le morceau suivant, "Catherine Blake", est tout bonnement hallucinant. Il démarre par une série d'accords identiques, accompagnés par la batterie et bientôt couverts par le chant mélancolique d'Aaron Stainthorpe. On ne peut cependant pas décrire ce morceau sans parler de son texte, purement narratif. Catherine Blake est donc un personnage inventé, une femme seule qui recherche le plaisir et qui le trouve avec le diable. La démarche est complexe, un texte poétique plus long ayant été écrit et raccourci pour les besoins de la chansons. Le thème biblique rejoint les habitudes de composition du groupe. En réalité, Satan prévoit dans la chanson de détruire Dieu et le paradis par la corruption de toutes les femmes de la Terre. Leur possession les rend stérile et la race humaine s'éteint peu à peu. Musicalement, on a à nouveau affaire à un morceau redoutablement travaillé. D'abord extrêmement lent et mélancolique, décrivant Catherine Blake assoupie, paisible. Puis la mort survient au détour d'un de ses rêves et la violence envahit le morceau par une série de breaks. Un couplet en grunts démarre alors, narrant cette fois ci les événements du côté divin. La batterie s'affole, on retrouve des blast beat, les guitare et la basse créent des riff tourmentés et sombres, puis une pause, on retourne dans un univers désolé mais calme, une voix plaintive, et une femme mal en point. Le texte reprend donc, pour simplifier, Eros et Thanatos à la sauce biblique. Un nouveau couplet "endiablé" démarre, et, nouvelle idée de génie, deux niveaux de narration s'alternent, avec pour chacun une manière différente de chanter : grunts hargneux ou voix caverneuse mais intelligible. Dans le chaos absolu qui règne sur Terre et dans les cieux, Dieu se réveille et contemple la mort et la désolation, mais finalement il triomphera une fois de plus. Pour compléter, je vous renvoie au texte superbe de ce morceau, et aussi à celui de "Return of the Beautiful" sur The Dreadful Hours, qui évoque ce thème de la lutte acharnée entre Satan et Dieu. "Catherine Blake" est donc un morceau époustouflant du genre, un des sommets de cet album.

 

Après ces trois chansons longues, tourmentées, violentes et désespérées, il fallait bien une pause. Le paisible "My Wine in Silence" se charge donc de cette mission avec succès. Le morceau est plus court (environ 6 minutes), et démarre avec un son clair, extrêmement triste, mais calme. Une longue plainte évoquant à nouveau la solitude et l'amour impossible. Mais cette pause est de courte durée. La guitare et la basse, implacables, poursuivent de distribuer les notes, de plus en plus fort, et on retrouve un court passage en voix saturée, qui ouvre ensuite un nouvel horizon. Le riff de guitare reste le même, mais plus saturé, la chanson s'assombrit, son côté ambiant s'estompe derrière une influence doom plus traditionnelle. Le thème musical de la chanson s'affirme, un refrain se fait jour et achève le morceau, accompagné de claviers :

Please hold me now my love.
Where are you now, oh my sweet love.

Démarre alors la cinquième piste de l'album "The Prize of Beauty". Un morceau plus agressif, plus violent dès le départ. Les premières paroles ne sont pas en chant clair. Le morceau évoque un désir ardent pour une créature féminine superbe mais dangereuse, possédant les forces de la nature : "A storm of ebony hair". Ce désir d'impossible, malsain et violent, entraîne les premières minutes de la chanson dans un tourbillon musical sombre mais violent, au rythme soutenu. Puis, à la fin de ce couplet long et enragé, le morceau s'arrête, et prend une nouvelle direction. La guitare et la basse se retrouvent seule, à jouer des notes rapides mais sur une mélodie triste, sans batterie. La voix claire revient, terriblement chargée de désespoir. Le désir fait place à la frustration, au malheur et à la déception. Le riff saturé vient alors couvrir le tout et le morceau s'orne d'une dimension de plus en plus tragique. Trois couplets se succèdent, évoquant tour à tour une supplication à Dieu, la puissance destructrice de cet être et la vie qu'il peut pourtant donner. Le calme revient alors sur un dernier couplet en guise de capitulation, le désir est finalement consommé, avec toute la souffrance et le masochisme que cela implique. Voix claire, mélodie simple agrémentée de piano et de claviers. Une autre chanson superbe qui s'achève donc.

Démarre alors un nouveau sommet de l'album, "The Blue Lotus". Sur un schéma textuel similaire à "Catherine Blake", se déroule un récit de vampirisme très poétique, extrêmement travaillé et mélodique, mais où l'intégralité du texte écrit n'est pas chanté dans le morceau. Un jeune homme nous raconte sa quête nocturne d'une princesse légendaire, enfermée dans un château au fin fond d'une forêt... Le rythme est rapide, le style du morceau est très heavy, le chant est un entre-deux très original, intelligible mais rauque. A nouveau de niveaux de narrations, et deux types de chants. Une voix claire et plaintive chante l'aspect mythique et la réputation de ce Lotus Bleu tandis que la voix plus grave concerne les faits et geste du narrateur, en "temps réel". Il entre donc dans le château après avoir escaladé une tour, et un nouveau couplet démarre pour la rencontre avec la femme endormie, chanté cette fois d'une voix plus aiguë et dans un registre plus lyrique, accompagné d'un changement dans le rythme et la mélodie du morceau. Il contemple l'être désiré et s'émeut de cette vision. L'apparition sonore en même temps d'une piste de guitare plus lancinante commence à laisser deviner sur l'issue de la rencontre, de même que les paroles comme "I will always recall". La redevient rauque alors que le piège se referme. Au moment où il se penche pour l'embrasser, elle se réveille et l'entraîne dans l'oubli. Le dernier couplet, superbe, chanté de la même manière que celui évoquant la rencontre avec le vampire endormi, confirme tout cela : le narrateur, mort, nous comment les paysans retrouvent son cadavre enfoui, un Lotus placé dans sa main. Le morceau s'achève sur une série de riff et un solo saturé et tortueux. Magnifique.

 

Il reste deux morceaux pour achever de faire de cet album un des chefs d'œuvres du genre. Le septième et avant dernier morceau de ce Songs of Darkness, Words of Light s'appelle "And My Fury Stands Ready". Un titre prometteur, qui annonce une certaine violence. Ce qui est d'ailleurs le cas : après quelques notes de piano en guise d'introduction, le morceau s'élance avec fureur. Grunts, riff agressif et lourd, section rythmique pesante, tout y est, même le texte, qui nous parle de vengeance, d'agitation, de colère et de tempête. Une sorte de créature malfaisante rôde, assoiffée de mort, de sang, Satan peut-être, à en croire certains passages comme ce "Up into your Heaven". Mais après ces deux couplets aussi courts qu'intenses, tout s'arrête. Le morceau s'enfonce dans une longue phase instrumentale, aux accents et reflets très dark ambiant, atmosphériques. Seule, la basse lâche quelques notes graves qui résonnent. Des grondements se font entendre, et quelques bruitages évoquent le distant reflux de la mer. L'heure est à l'apaisement, au calme. Mais ce calme est bel et bien menaçant, une présence est tapie dans l'ombre, elle attend, et nous avec. La tension monte, le temps passe, les notes se font éparses. Puis la guitare revient, et une montée démarre, sourde et inquiétante. La voix les rejoint, s'adresse à nous, neutre, calme et claire, elle nous parle :

And my fury stands ready.
I bring all your plans to nought.
My bleak heart beats steady.
'Tis you whom I have sought.
Feasting myself sick,
On your pathetic sins.
Wound for me to lick.
The work of slaughter begins.

Après ces quelques mots survient un véritable déchaînement musical, libérant d'un seul coup toute la violence retenue depuis ce qui semble pour la chanson avoir été de trop longues minutes. Riff puissant et lourd, hurlements du chanteur, rythme très pesant. Une plongée en Enfer aussi soudaine que désirée. Pour couronner et clore la chanson, le premier couplet est répété, et tout s'achève dans un dernier soubresaut de violence.

 

Que nous réserve le dernier morceau ? Comment conclure après un tel déchaînement ? Par le calme retrouvé. Mais c'est à un calme bien étrange que nous convie le dernier morceau. Le goût amer d' "A Doomed Lover" s'installe durablement dans notre tête secouée. Une sorte d'ataraxie funèbre, renforcée par des riffs puissants comme des lames de fond, mais voilés par une espèce de fumée, de grisaille : on dirait que le morceau a "du grain". Le chanteur exhale une texte renouant avec l'amour meurtri d'une voix monocorde, monotone. Le rythme se fait encore plus lent que sur les autres pistes, et un piano vient agrémenter quelques intermèdes avant de subsister pendant les couplets. Au détour d'un cri plaintif, la guitare embarque la chanson vers des voies inattendues, atmosphériques et planantes. Le morceau se fait élégiaque, teinté de désespoir et de mort. Les sons se font plus aigus mais le rythme reste pesant. L'ascension commence alors lentement. Les paroles s'amenuisent, le tempo s'intensifie, l'instrumental s'amplifie, se gonfle. Inexorablement la chanson nous entraîne, hypnotique, vers un soleil noir où l'on risque bien de brûler les ailes. En véritable apothéose, le morceau se déroule, tel un grand serpent de musique, vers des contrées jusque là inexplorées par le groupe. Le rythme accélère, la batterie s'emballe, on ne peut plus faire marche arrière. C'est une damnation, une irrésistible marche vers la lumière, une marche funèbre, voire une marche au supplice, au délice qui termine en beauté cet album. Une véritable merveille de noirceur.


 

En bref, un album absolument incontournable du genre, que chaque fan qui se respecte se doit de posséder. Un enchaînement subtil et imparable de chansons toutes plus sombres les unes que les autres, radicalement composées et construites, aux textes sublimes. Un sommet du groupe et du doom en général. Pour ceux qui ne seraient pas mordus de cette musique, je leur conseille quand même vivement de jeter une oreille à cet album, de tenter ce voyage intense et douloureux qu'il propose, mais d'où l'on ressort comme grandi, rasséréné.

Note : 19/20

  

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