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Screen Shape
14 mai 2011

Sleeping Beauty

C'est parti pour une nouvelle édition du Festival ! La différence avec l'an passé ? Pas d'accréditation avant mercredi prochain. Du coup, en attendant, c'est tapinage de tickets en smoking sur la Croisette... Et ça marche ! Grâce à une âme bien née qui nous dégotte 6 tickets bleus pour les films de la soirée de jeudi, j'ai pu monter les marches à 19h30 et 22h10, mais - plaisir suprême, découvrir deux films plutôt intéressants. A savoir Sleeping Beauty, film australien de J. Leigh chapeautée par Jane Campion herself, et We Need to Talk About Kevin, de Lynne Ramsay, qui fera l'objet d'un article ultérieur.

Deux films de femmes donc, femmes très représentées à cette édition du Festival, et quel bonheur ! Globalement, ce Sleeping Beauty est plutôt bon, s'agissant d'un premier film, mais il souffre de plusieurs problèmes que je vais m'efforcer de détailler.

 

sleeping_beauty_4 

De belles images ont rarement fait de bons films. Si une œuvre peut-être jolie, voire superbe d'un point de vue plastique, il lui faut conserver cette réussite dans bien d'autres domaines pour que le film puisse être considéré comme vraiment réussi, et ce n'est malheureusement pas le cas de ce Sleeping Beauty.

Certes, la photo de Geoffrey Simpson, australien lui aussi, est superbe : à la fois lumineuse pour les extérieurs ou les scènes du quotidien de Lucy, l'héroïne du film, où la lumière blanche irradie constamment, notamment dans la très dérangeante séquence d'ouverture qui donne le ton, mais aussi glacée, façon catalogue funèbre, pour les parties consacrées à son activité de "dormeuse". Il me faut ici évoquer le synopsis de ce film pour en montrer les enjeux dramatiques. Une étudiante australienne, Lucy, cumule les petits boulots (serveuse, secrétaire, cobaye pour l'industrie pharmaceutique) et s'enferme dans une routine de gestes répétés, de lieux visités quotidiennement, et de relances de loyers. Elle répond à une annonce et devient hôtesse de soirées étranges, grassement payée, mais confrontée à des personnages curieux, inquiétants. Son besoin d'argent grandissant, elle décide de passer à la vitesse supérieure et devient une "belle au bois dormant", satisfaisant dans son sommeil les lubricités des quelques vieux pervers en mal de libido... Le travail de chef opérateur est donc crucial pour opposer dans un premier temps l'univers réel et quotidien à celui quasi sectaire où elle abandonne son corps, mais il est regrettable que la fin du film ne confronte pas plus violemment ces deux mondes dans un travail esthétique plus prononcé. Le choix de montrer que Lucy (ou Sara quand elle vend son corps) finit par s'installer de nouveau dans une routine mécanique ne permet pas au récit de prendre du rythme et on finit par se lasser des séquences choquantes qui l'émaillent régulièrement.

 

Côté mise en scène, la première partie, éblouissante, présente les différents lieux fréquentés avec un certain brio et un sens inné de l'incongru qui arrachera quelques sourires, parfois gênés. Mais c'est surtout quand Lucy découvre son nouveau travail que le film joue ses pus beaux atouts. Plans géométriques, cadrages millimétrés, décors somptueux et tenues sophistiquées confèrent à l'ensemble de ces séquences un érotisme morbide qui est tout sauf excitant. Difficile de ne pas songer au sulfureux Salo ou les 120 journées de Sodome de Pasolini quand on voit ces vieillards aristocrates se faire servir à table par de jeunes femmes vêtues de noir, seins  à l'air, ou prostrées sur le sol de part et d'autre de la cheminée comme de simples éléments de décorations. L'opposition des sous vêtements noirs des habituées à la tenue blanche de Lucy/Sara est bienvenue, mais on s'attend à des sévices qui ne viendront jamais - et ce n'est peut-être pas plus mal dans un premier temps. La réalisatrice opte pour le plan fixe relativement long, qui renforce la force géométrique de ses cadrages et joue sur une belle adéquation avec la photographie glacée de Simpson, faisant de ce film par moments une suite de tableaux d'une grande beauté plastique. Les cadrages sont ainsi sublimes lorsqu'il s'agit de filmer notre belle assoupie dans un lit somptueux, attendant son visiteur nocturne. Nous en verrons 3 différents pour 4 séquences au total. Un vieillard au sexe minuscule (inexistant ?) qui commence par narrer une étrange nouvelle à la maîtresse de maison, visiblement émue, et qui se love aux côtés de l'endormie après l'avoir baisée (de sa bouche, il s'entend) avec ferveur. Aussi tendu qu'émouvant. Ca se gâte avec le deuxième, un libidineux qui fait outrage au corps de la jeune fille dans une scène absolument révulsante. Le troisième est une curiosité, colosse auxpieds d'argile qui pourra émouvoir mais qui vous fera peur également. Enfin, le dernier est le même homme que le premier, il conclut le film dans une scène belle mais frustrante, qui laissera un goût amer d'inachèvement.

 
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Le travail sur le son est également remarquable, musique quasi absente, toute en notes discrètes de musique ambiant composée par Ben Frost, musicien australien établi en Islande qui oeuvre dans le domaine de l'électro minimaliste et expérimental. Une explosion sonore survenant vers la fin sera du plus bel effet dans ce grand film silencieux, mais la promesse d'un retournement et d'un crescendo final sera malheureusement oubliée. La grande réussite du film est dans sa direction d'acteurs et dans le traitement des corps. La jeune actrice Emily Browning, qui campe courageusement le rôle de Lucy, pourrait prétendre à un prix d'interprétation. Son corps endormi est malmené de manière incroyable et elle donne à son personnage une jolie complexité, tiraillée entre le désir de l'argent facile et le besoin de savoir ce qu'elle subit dans son sommeil. Il est à nouveau regrettable que le film déçoive de ce côté-ci. Rachel Blake est magnifique en Clara, directrice de l'établissement très spécial ou travaille Lucy : de la prestance, de la raideur, des costumes chics et sobres, aux belles couleurs brillantes (vert anglais, bleu azur), elle incarne une femme compréhensive mais qui se fait du mal: son désir d'aider les vieux riches à jouir un peu est terni par le prix qu'il faut faire payer aux jeunes filles pauvres qui acceptent de se sacrifier. Beaucoup de choses sont tues à son égard, ce qui renforce un côté mystérieux de son personnage qui semble fissuré, comme l'atteste la séquence de la narration du vieillard, en champ-contrechamp à 180°, où le regard caméra du vieux vous saisit aux tripes comme il la saisit elle, qui finit bouleversée, les yeux rougis par les larmes.

 

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Au rang des curiosités inexplicables qui contribuent à donner une atmosphère pesante au film mais qui peuvent jouer en sa défaveur, citons les petites baies rouges que cueille Lucy avant de les abandonner dans la voiture de son chauffeur-passeur, éventuelles références au mythe de Perséphone aux Enfers; mais surtout, l'omniprésence de jeunes asiatiques dans un film australien reste inexpliquée, de même que les cours suivis à l'université, qui semblent être une stratégie pour un jeu de dames complexifié.

 

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En bref, malgré une approche technique et esthétique pratiquement irréprochable, qui fait un sort merveilleux à la présence physique de ses acteurs et du teint diaphane de Lucy, Sleeping Beauty souffre de son dilemme entre forme classique (séquences définies nettement, linéarité du récit, thèmes explorés) et fond moderne (scénario peu explicite, rythme quasi absent) : en résulte une sorte de monotonie qui confine presque à l'ennui, le film enchaînant tranquillement des séquences fondées sur un même argument scénaristique, qui ne choquent plus ou presque. Quand tout se termine, on en vient à se demander "A quoi bon ?", "Tout ça pour ça.", la faute à un manque de rythme évident, le film évoluant toujours à la même vitesse, si l'on écarte une scène qui annonçait pourtant un renversement qui eût été le bienvenu. En outre, le titre présageant une relecture du conte de la Belle au bois dormant ne s'avère qu'une illustration presque maladroite d'un tiers du film, où le prince charmant est multiple et viole la belle chaque nuit, sans que cela ne prenne jamais réellement la dimension polémique, métaphorique ou même simplement tragique que l'idée portait en germe.

Note : 2.5/4

 


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