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Screen Shape
25 octobre 2010

Harbinger of Metal

           C'est entre le premier album et le second de la trilogie de Reverend Bizarre, LE groupe de doom finlandais qui a marqué la décennie, que parait ce qui est ici désigné sous le nom d'EP, le fascinant Harbinger of Metal. Remarque préliminaire, cet "EP" dure la bagatelle d'1h13, c'est à dire plus long qu'un paquet de LP et d'albums traditionnels, mais certes rien en comparaison des 2h et quelques de III: So Long Suckers, le chef d'œuvre absolu du groupe. Quelques mots sur le titre : Harbinger signifie avant-coureur, avant-poste. Conclusion, le groupe revendique une musique quelque peu avant-gardiste sur cet EP. Si on se réfère à la durée des morceaux, on est bien chez du Reverend Bizarre, 18min, 20min, des durées sommes toutes acceptables qui laissent entrevoir des morceaux pachydermiques. La pochette, comme toujours chez le groupe, est soignée, on y voit un bouc noir très évocateur dans un milieu aux couleurs chaudes comme les flammes de l'enfer, le ton est donné.

Harbinger

           Le titre Harbinger, quasi éponyme, démarre l'album sur quelques notes bien lourdes, qui durent, durent, durent, le tout rehaussé de quelques cris informes sur le début de cette courte piste introductive. Le but est simple, c'est un préambule qui nous plonge dans l'atmosphère si spécifique au groupe, qui suspend le temps, nous lacérant les oreilles de cette sorte de brutalité tranquille qui caractérise leur musique.

          Après cet instrumental pesant, on entre dans le vif du sujet avec un morceau hypnotique de presque quatorze minutes, Strange Horizon, qui démarre sur un tempo rapide à la guitare, avec cette note plutôt aigüe, répétée quelques mesures avant d'être rejointe par les autres instruments, qui apportent la diversité mise en tension par ce préliminaire déroutant. Le morceau s'installe au bout d'un peu plus d'une minute, avec la disparition de cette note au profit d'un riff basse-guitare plus sombre. La dite note revient alors immédiatement et installe une dualité instrumentale des plus intéressantes. La basse est gutturale, pénétrante, les guitares jouent sur des oppositions entre gammes graves et plus aiguës, tandis que la batterie, à grands renforts de cymbales, marque la cadence. Un riff plus habituel chez le groupe précède le couplet, évoquant un stoner-doom presque ralenti (c'est dire). La voix traînante si caractéristique de Witchfinder s'installe à son tour. Le morceau est une longue marche à deux, vers l'au-delà, vers l'horizon étrange évoqué dans le texte et dans le titre du morceau. On peut y déceler quelques réminiscences lovecraftiennes, notamment du côté du fameux Beyond the Wall of Sleep, chanté par Black Sabbath sur leur premier album. Le titre, implacable, déploie dans une majestueuse lenteur toute la mélancolie atrabilaire du groupe finnois, le long d'amples riffs de guitare-basse. Le rythme y est certes lent, mais moins que sur des morceaux de format plus étendu, l'écoute est donc accessible relativement, le morceau est en fait bien agréable. Il est assez singulier ici de remarquer que c'est presque une chanson d'amour : la solitude toujours présente n'est plus individuelle mais couplée, ce sont deux amants, dont un incertain, qui s'entraînent vers la mort. Peu d'espoir donc, mais un message peut-être moins pessimiste que d'ordinaire. La fin du texte et du morceau prend une dimension plus incantatoire dans le chant, souligné par un rythme qui se ralentit, se solennise, et par le retour de la note du début. La boucle est bouclée, et d’ailleurs la chanson se termine par une reprise plus hargneuse et désespéré des deux premiers vers : « There’s no time to lose ! », douce ironie que l’urgence de la mort et de la suspension du temps. Détail sublime, l’arrivée des orgues sur la les dernières mesures, qui me rappellent le thème musical du Requiem for December de Beatrik.

            Suit un court interlude à la basse, The Ambassador , qui semble amener délicatement – quoi que de manière un peu inquiétante si l’on se fie à son texte, aux chuchotements sinistres de Witchfinder, et aux notes de guitares un brin torturées en arrière-plan, le morceau titanesque qui suit.
Les vingt minutes du monstrueux From The Void démarrent en trombe sur une basse taquinée immédiatement accompagnée d’une batterie, d’une basse et d’une guitare qui scandent un rythme à la fois lent et violent, marqué par une cassure, une irrégularité qui va donner le ton du morceau. Lourd, toujours plus lourd, tel semble-t-être le motto du groupe, qui se lance corps et âme dans une piste monumentale, à la mélodie alambiquée et funèbre. Rarement le groupe n’aura été aussi implacable, les chants, sinistres le démontrent bien. C’est un appel du vide, de l’ambassadeur impie du morceau précédent, qui nous propose en quelques mots, quelques formules, un pouvoir insoupçonné. La batterie martèle des suspensions de notes de guitare, quelques cris s’estompent au loin. Le chaos s’installe, lentement, sournoisement, le son est gras, granuleux même. Et ce riff entêtant qui revient sans cesse… Vertige musical, et pourtant on n’en est qu’au cinquième de la piste. Le texte est déjà presque entièrement proclamé par ses grognements sombres, qui évoquent avec bonheur un doom-death que le groupe a pourtant toujours refusé. On sombre peu à peu dans une folie toujours plus grande qui rappelle quelques groupes comme Funeralium par moments. Le meilleur du morceau reste pourtant à venir. Le riff se déroule, immuable, doublé bientôt par quelques notes d’une autre guitare qui se greffe et envoie des stridences, grinçantes et inquiétantes. Le temps est en totale suspension, la répétition inlassable du thème du morceau ne fait qu’approfondir l’hypnose ambiante. A 8min48, c’est le drame. Le riff, après avoir subi quelques variations, s’arrête brutalement. La batterie (au charleston) démarre un tempo plus rapide, on croit à une accélération, mais non, c’est un solo de batterie qui démarre, complètement inattendu, surprenant, et diablement réussi. Earl of Void (le batteur) sait y faire, il semble être dans son élément avec ce morceau entêtant, et nous balance cinq bonnes minutes de délire total, complètement apocalyptiques, où l’on retrouve même quelques secondes durant des motifs jazzy. La fin du solo est endiablée, d’une rapidité d’exécution inouïe pour le genre musical d’origine du morceau. On nage en plein délire seventies, qui fleure bon le hard rock et le prototype de metal de la fin du psychédélisme, dur de ne pas penser en effet aux dix-sept minutes envoûtantes et au solo culte de batterie du chef d’œuvre d’Iron Butterfly, In-a-Gadda-da-Vida. Puis le tout se ralentit considérablement, préparant le retour à l’ordre du morceau, et l’arrivée des autres instruments, d’une lourdeur fracassante et salvatrice. Le riff a changé, il est lancinant, très lent, moins buté. Des rires et hurlements bestiaux viennent ponctuer l’enfoncement du morceau dans le vortex qu’il semble s’être ouvert, toujours plus loin, toujours plus noir. La voix revient entonner le texte depuis le début, encore plus caverneuse qu’au départ, le ton est cette fois-ci délibérément mortifère. Sur la fin du la piste, avec l’apparition d’une guitare plus aiguë, on retrouve les sonorités plus habituelles du groupe. Un sommet musical d’une grande somptuosité.

            Et le groupe n’est pas en reste de merveilles, puisque c’est l’heure pour l’auditeur des dix-huit minutes de  The Wandering Jew , qui démarre sur quelques notes très intrigantes de basse. Le titre me laissait voir le pire, je craignais quelques relents d’antisémitisme primaire et totalement hors de propos, hors le texte le dément rapidement, puisqu’il s’agit d’un récit opposant un partisan des forces obscures à une figure de martyr christique. L’issue est d’ailleurs incertaine, et la victoire n’est pas chez celui qu’on croit. Après quelques minutes de cette curieuse mélodie de basse, le groupe envoie l’artillerie lourde et un riff plutôt compact dirons-nous, suivi de peu par la voix plutôt tonitruante de Witchfinder. La chanson serait donc à rapprocher par son sujet et sa lourdeur du célèbre  Jerusalem de Sleep, voire du plus heavy et flamboyant Black Stone Wielder  de Candlemass. Le riff se déploie, encore et toujours – on ne change pas une recette qui fonctionne si bien – et martèle avec un succès appréciable nos oreilles. C’est gras, c’est beau et ce n’est pas si lent mine de rien. Par la suite le groupe nous gratifie même d’un semblant de solo de guitare, rapidement dilué dans un passage d’une profonde lenteur. Et, nouvelle surprise, le dispositif se minimalise. Une basse pulsatile accompagné d’une batterie aussi complexe qu’un métronome. Le temps se suspend à nouveau, et cède la place à des envolées lyriques surprenantes une fois de plus de guitares saturées et cristallines qui ululent dans le vide, dialoguent et résonnent, créant une sorte d’enchevêtrement musical de toute beauté. Décidément cet EP respire l’influence des années 70. La reprise du riff une gamme au dessus et prodigieuse d’énergie, le riff bien sale faisant un retour remarqué et remarquable. Le texte s’achève donc, dans une certaine amertume, à la fois devant la manière condescendante dont le narrateur qualifie le juif errant sous sa croix « this Nazarene », et dans la manière dont le récit se conclue, une imprécation, supplication même pour le pardon du Christ. Le groupe aurait-il quelques remords après des années de service auprès du Malin ? Rien n’est moins sûr. En tous cas, les dernières paroles, puissantes et outrées, de Witchfinder, sèment le doute. Quoi qu’il en soit, le morceau est un nouveau sommet de cette production et de la discographie du groupe.

              Nouvelle pause avec un morceau au titre singulier Into the Realms of Magickal Entertainment (« Dans les royaumes du divertissement magique »), qui distille un calme profond, une douce pause où résonnent un peu tous les instruments, privés de toute lourdeur ou puissance. Petite pause fort sympathique qui précède un dernier coup d’éclat. La fin du morceau est toute fois en joli crescendo, l’intensité gonfle peu à peu avant de s’estomper à jamais.

                Le groupe conclut avec une piste surprenante, une reprise de  Dunkelheit de Burzum. Si le début de la piste rejoint en sonorité et ambiance le modèle avec une précision déroutante, il s’en éloigne rapidement. Le pari est osé, s’attaquer à un monument du dark ambiant, qui a ses adorateurs et ses détracteurs, le bien nommé Filosofem, n’est pas donné à tous. D’autant plus que le morceau de Reverend Bizarre est deux fois plus long que l’original. La cause ? Un riff tétanisant qui reprend le thème bien connu et l’appesantit, sans délaisser les claviers qui donnaient tout le relief de la production du norvégien solitaire. Le rendu est tout bonnement miraculeux : le son est plus clair, plus propre et donc plus agréable que chez Burzum, la voix est intelligible, et un morceau déjà fichtrement bon (c’est en tous cas mon opinion) se retrouve transformé, transcendé même, par notre groupe finnois. Il devient une caresse désincarnée, un moment hypnotique d’une beauté stupéfiante qui laisse éclater tout le potentiel de la composition originelle. Le travail de la voix que fait Witchfinder est aussi réussi qu’osé, il apporte toute une dimension de souffrance qui n’était qu’en germe dans la version de Burzum, plus malsaine. Une relecture passionnante. Comble du génie, sur la fin, le groupe se permet une incursion plus proche de l’original : les chants sont gutturaux, hurlés. En se rapprochant ainsi de l’interprétation de Burzum, le groupe prend une distance de plus, il introduit une variable inexistante chez Burzum, la diversité au sein d'un morceau.

burzum_filosofem

             En bref, un « EP » absolument incroyable, incontournable et monumental, qui nous présente quatre pistes développées extraordinaires, dont une reprise d’un très haut niveau, et trois autres morceaux qui effectuent des transitions ou des moments de pause bienvenus. Pas un album à part entière, mais bel et bien parmi les meilleurs œuvres du groupe, ce Harbinger of Metal s’élève loin devant la décevante compilation Death is Glory…Now qui paraîtra quelques années plus tard, en guise de chant du cygne. Je retiens de ce superbe EP la première écoute que j’en fis, seul, au casque, la nuit, tandis que s’abattaient au dehors des pluies diluviennes et que les éclairs de foudre tombaient en masse sur la grue d’un chantier voisin.

Note : 19/20

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